« La découverte de l'Autre » : différence entre les versions

aucun résumé des modifications
Aucun résumé des modifications
Aucun résumé des modifications
Ligne 7 : Ligne 7 :
Aucune nation ne fait certainement un commerce aussi avantageux avec les étrangers que la Chine, et il n'en est point cependant qui impose des conditions aussi dures, \[...\] : il ne se boit pas une tasse de thé en Europe qui n'ait coûté une humiliation à ceux qui l'ont acheté à Canton, qui l'ont embarqué, et ont sillonné la moitié du globe pour apporter cette feuille dans nos marchés.
Aucune nation ne fait certainement un commerce aussi avantageux avec les étrangers que la Chine, et il n'en est point cependant qui impose des conditions aussi dures, \[...\] : il ne se boit pas une tasse de thé en Europe qui n'ait coûté une humiliation à ceux qui l'ont acheté à Canton, qui l'ont embarqué, et ont sillonné la moitié du globe pour apporter cette feuille dans nos marchés.


Source : Journal de bord de J.-F. de Lapérouse : Escale à Macao, du 3 janvier au 5 février 1787 -\* \*Un voyage de découvertes au siècle des Lumières
''Source : Journal de bord de J.-F. de Lapérouse : Escale à Macao, du 3 janvier au 5 février 1787 -\* \*Un voyage de découvertes au siècle des Lumières''
 
''\* <u>Soldé</u> = payé''


\* Soldé = payé




Ligne 17 : Ligne 18 :
Les Indiens des villages de cette partie de l'île s'empressèrent de venir à bord dans leurs pirogues, apportant, pour commercer avec nous, quelques cochons, des patates, des bananes, des racines \[...\], avec des étoffes et quelques autres curiosités faisant partie de leur costume. Je ne voulus leur permettre de monter à bord que lorsque la frégate fut mouillée et que les voiles furent serrées. \[…\] Nos morceaux de vieux cercles de fer excitaient infiniment leurs désirs ; ils ne manquaient pas d'adresse pour s'en procurer, en faisant bien leurs marchés ; jamais ils n'auraient vendu en bloc une quantité d'étoffes ou plusieurs cochons ; ils savaient très bien qu'il y aurait plus de profit pour eux à convenir d'un prix particulier pour chaque article. Cette habitude du commerce, cette connaissance du fer qu'ils ne doivent pas aux anglais, d'après leur aveu, sont de nouvelles preuves de la fréquentation que ces peuples ont eue anciennement avec les Espagnols.
Les Indiens des villages de cette partie de l'île s'empressèrent de venir à bord dans leurs pirogues, apportant, pour commercer avec nous, quelques cochons, des patates, des bananes, des racines \[...\], avec des étoffes et quelques autres curiosités faisant partie de leur costume. Je ne voulus leur permettre de monter à bord que lorsque la frégate fut mouillée et que les voiles furent serrées. \[…\] Nos morceaux de vieux cercles de fer excitaient infiniment leurs désirs ; ils ne manquaient pas d'adresse pour s'en procurer, en faisant bien leurs marchés ; jamais ils n'auraient vendu en bloc une quantité d'étoffes ou plusieurs cochons ; ils savaient très bien qu'il y aurait plus de profit pour eux à convenir d'un prix particulier pour chaque article. Cette habitude du commerce, cette connaissance du fer qu'ils ne doivent pas aux anglais, d'après leur aveu, sont de nouvelles preuves de la fréquentation que ces peuples ont eue anciennement avec les Espagnols.


Source : Journal de bord de J.-F. de Lapérouse : Arrivée aux îles Sandwich (ancien nom des îles Hawaï), le 29 mai 1786 - Un voyage de découvertes au siècle des Lumières.
''Source : Journal de bord de J.-F. de Lapérouse : Arrivée aux îles Sandwich (ancien nom des îles Hawaï), le 29 mai 1786 - Un voyage de découvertes au siècle des Lumières''.


[[Fichier:Bateaux laperouse.jpg|vignette]]
[[Fichier:Bateaux laperouse.jpg|vignette]]


Source : Escale à Maui (Hawai) de 1786 vu par Delcausse, musée Lapérouse, Albi.
''Source : Escale à Maui (Hawai) de 1786 vu par Delcausse, musée Lapérouse, Albi.''
 




Ligne 31 : Ligne 33 :
Nous savions déjà que les Indiens étaient très voleurs ; mais nous ne leur supposions pas une activité et une opiniâtreté capables d’exécuter les projets les plus longs et les plus difficiles ; nous apprîmes bientôt à les mieux connaître. Ils passaient toutes les nuits à épier le moment favorable pour nous voler ; mais nous faisions bonne garde à bord de nos vaisseaux, et ils ont rarement trompé notre vigilance. \[…\]
Nous savions déjà que les Indiens étaient très voleurs ; mais nous ne leur supposions pas une activité et une opiniâtreté capables d’exécuter les projets les plus longs et les plus difficiles ; nous apprîmes bientôt à les mieux connaître. Ils passaient toutes les nuits à épier le moment favorable pour nous voler ; mais nous faisions bonne garde à bord de nos vaisseaux, et ils ont rarement trompé notre vigilance. \[…\]


Source : Journal de bord de J.F de Lapérouse - Un voyage de découverte au siècle des Lumières
''Source : Journal de bord de J.F de Lapérouse - Un voyage de découverte au siècle des Lumières''


[[Fichier:Monuments et insulaires de l’ile de Pâques.jpg (fichier) (supprimer)|vignette]]
[[Fichier:Monuments et insulaires de l’ile de Pâques.jpg (fichier) (supprimer)|vignette]]


Source : Insulaires et monuments de l'îles de Pâques par Duché de Vancy - 1785.
''Source : Insulaires et monuments de l'îles de Pâques par Duché de Vancy - 1785.''
 




Ligne 43 : Ligne 46 :
Nous savions déjà que les Indiens étaient très voleurs ; mais nous ne leur supposions pas une activité et une opiniâtreté capables d’exécuter les projets les plus longs et les plus difficiles ; nous apprîmes bientôt à les mieux connaître. Ils passaient toutes les nuits à épier le moment favorable pour nous voler ; mais nous faisions bonne garde à bord de nos vaisseaux, et ils ont rarement trompé notre vigilance. \[…\] Je ne craindrais pas d'annoncer que cette peuplade s'anéantirait entièrement, si, à tous ces vices destructeurs, elle joignait le malheur de connaître l'usage de quelque liqueur enivrante. Les philosophes se récrieraient en vain contre ce tableau. Ils font leurs livres au coin de leur feu, et je voyage depuis trente ans : je suis témoin des injustices et de la fourberie de ces peuples qu'on nous peint si bons, parce qu'ils sont très près de la nature ; mais cette nature n'est sublime que dans ses masses ; elle néglige tous les détails. Il est impossible de pénétrer dans les bois que la main des hommes civilisés n'a point élagués ; de traverser les plaines remplies de pierres, de rochers, et inondées de marais impraticables ; de faire société enfin avec l'homme de la nature, parce qu'il est barbare, méchant et fourbe. \[…\]
Nous savions déjà que les Indiens étaient très voleurs ; mais nous ne leur supposions pas une activité et une opiniâtreté capables d’exécuter les projets les plus longs et les plus difficiles ; nous apprîmes bientôt à les mieux connaître. Ils passaient toutes les nuits à épier le moment favorable pour nous voler ; mais nous faisions bonne garde à bord de nos vaisseaux, et ils ont rarement trompé notre vigilance. \[…\] Je ne craindrais pas d'annoncer que cette peuplade s'anéantirait entièrement, si, à tous ces vices destructeurs, elle joignait le malheur de connaître l'usage de quelque liqueur enivrante. Les philosophes se récrieraient en vain contre ce tableau. Ils font leurs livres au coin de leur feu, et je voyage depuis trente ans : je suis témoin des injustices et de la fourberie de ces peuples qu'on nous peint si bons, parce qu'ils sont très près de la nature ; mais cette nature n'est sublime que dans ses masses ; elle néglige tous les détails. Il est impossible de pénétrer dans les bois que la main des hommes civilisés n'a point élagués ; de traverser les plaines remplies de pierres, de rochers, et inondées de marais impraticables ; de faire société enfin avec l'homme de la nature, parce qu'il est barbare, méchant et fourbe. \[…\]


Source : Un voyage de découverte au siècle des Lumières - Musée national de la marine
''Source : Un voyage de découverte au siècle des Lumières - Musée national de la marine''
 




Ligne 67 : Ligne 71 :
Le lendemain deux chaloupes et deux canots, soit une soixantaine d’hommes, se dirigent vers l’anse relevée la veille. La marée est basse et les chaloupes doivent emprunter un étroit chenal entre des bans de sable. \[...\] Les deux canots restent à distance du rivage. De nombreux indigènes accourent sur la plage, formant une foule d’un millier d’individus. Une escorte de soldats en armes fait une haie entre le rivage et la cascade. On remplit les barriques rapidement et De Langle, inquiet de l’affluence décide de rembarquer mais la marée basse empêche de rejoindre les bateaux. Les premières pierres lancées par les indigènes contraignent les marins à tirer en l’air. Les jets de pierres redoublent et des soldats touchés à la tête tombent à l’eau. De Langle est renversé et massacré. Un certain nombre de marins s’enfuient à la nage vers les canots. Les indigènes, occupés à massacrer les marins blessés et à détruire les chaloupes, ne tentent pas de les poursuivre. Douze hommes, dont le Vicomte De Langle et le savant Lamanon ont péri. Pour Lapérouse la perte est immense “J’ai perdu en lui un ami bien plus qu’un commandant”. \[...\]
Le lendemain deux chaloupes et deux canots, soit une soixantaine d’hommes, se dirigent vers l’anse relevée la veille. La marée est basse et les chaloupes doivent emprunter un étroit chenal entre des bans de sable. \[...\] Les deux canots restent à distance du rivage. De nombreux indigènes accourent sur la plage, formant une foule d’un millier d’individus. Une escorte de soldats en armes fait une haie entre le rivage et la cascade. On remplit les barriques rapidement et De Langle, inquiet de l’affluence décide de rembarquer mais la marée basse empêche de rejoindre les bateaux. Les premières pierres lancées par les indigènes contraignent les marins à tirer en l’air. Les jets de pierres redoublent et des soldats touchés à la tête tombent à l’eau. De Langle est renversé et massacré. Un certain nombre de marins s’enfuient à la nage vers les canots. Les indigènes, occupés à massacrer les marins blessés et à détruire les chaloupes, ne tentent pas de les poursuivre. Douze hommes, dont le Vicomte De Langle et le savant Lamanon ont péri. Pour Lapérouse la perte est immense “J’ai perdu en lui un ami bien plus qu’un commandant”. \[...\]


Source : Le voyage de Lapérouse par Robert Dumas - Académie des Sciences et Lettres de Montpellier
''Source : Le voyage de Lapérouse par Robert Dumas - Académie des Sciences et Lettres de Montpellier''
 




Ligne 77 : Ligne 82 :
Montaigne dans ses écrits aborde également le bon sauvage et en donne une vision que les philosophes des Lumières vont reprendre au XVIIIe siècle. Le bon sauvage devient alors un être innocent et pur, qui, tels Adam et Ève dans l’Éden originel, étaient nus et ignorants, mais heureux. Ils vivent grâce à la nature qu’ils protègent, sont bons, honnêtes, curieux et innocents, en opposition radicale avec des Européens supposés hypocrites, menteurs et lâches. Ainsi, l’apparente « bêtise » des autochtones ne seraient que l’expression d’une pureté divine, héritée de la genèse. Les « sauvages » deviennent alors des modèles de vertu, des « bons sauvages » et des exemples à suivre pour des Européens ayant succombé à la tentation et au péché.
Montaigne dans ses écrits aborde également le bon sauvage et en donne une vision que les philosophes des Lumières vont reprendre au XVIIIe siècle. Le bon sauvage devient alors un être innocent et pur, qui, tels Adam et Ève dans l’Éden originel, étaient nus et ignorants, mais heureux. Ils vivent grâce à la nature qu’ils protègent, sont bons, honnêtes, curieux et innocents, en opposition radicale avec des Européens supposés hypocrites, menteurs et lâches. Ainsi, l’apparente « bêtise » des autochtones ne seraient que l’expression d’une pureté divine, héritée de la genèse. Les « sauvages » deviennent alors des modèles de vertu, des « bons sauvages » et des exemples à suivre pour des Européens ayant succombé à la tentation et au péché.


Source : Projet Lapérouse - Centre universitaire Jean-François Champollion
''Source : Projet Lapérouse - Centre universitaire Jean-François Champollion''


2) Journal de bord de J.-F. de Lapérouse : Après le massacre de Tutuila (Samoa), le 11 décembre 1787
2) Journal de bord de J.-F. de Lapérouse : Après le massacre de Tutuila (Samoa), le 11 décembre 1787
Ligne 83 : Ligne 88 :
Mon opinion sur les peuples incivilisés était fixée depuis longtemps ; mon voyage n’a pu que m’y affermir : J’ai trop, à mes périls, appris à les connaître. Je suis cependant mille fois plus en colère contre les philosophes qui exaltent tant les sauvages, que contre les sauvages eux-mêmes. Ce malheureux Lamanon, qu’ils ont massacré, me disait la veille de sa mort, que ces hommes valaient mieux que nous. Rigide observateur des ordres consignés dans mes instructions, j’ai toujours usé avec eux de la plus grande  modération ; mais je vous avoue que si je devais faire une nouvelle campagne de ce genre, je demanderais d’autres ordres. Un navigateur, en quittant l’Europe, doit considérer les sauvages comme des ennemis, très faibles à la vérité, qu’il serait peu généreux  d’attaquer sans motif, qu’il serait barbare de détruire, mais qu’on a le droit de prévenir lorsqu’on y est autorisé par de justes soupçons.
Mon opinion sur les peuples incivilisés était fixée depuis longtemps ; mon voyage n’a pu que m’y affermir : J’ai trop, à mes périls, appris à les connaître. Je suis cependant mille fois plus en colère contre les philosophes qui exaltent tant les sauvages, que contre les sauvages eux-mêmes. Ce malheureux Lamanon, qu’ils ont massacré, me disait la veille de sa mort, que ces hommes valaient mieux que nous. Rigide observateur des ordres consignés dans mes instructions, j’ai toujours usé avec eux de la plus grande  modération ; mais je vous avoue que si je devais faire une nouvelle campagne de ce genre, je demanderais d’autres ordres. Un navigateur, en quittant l’Europe, doit considérer les sauvages comme des ennemis, très faibles à la vérité, qu’il serait peu généreux  d’attaquer sans motif, qu’il serait barbare de détruire, mais qu’on a le droit de prévenir lorsqu’on y est autorisé par de justes soupçons.


Source : Un voyage de découverte au siècle des Lumières  - Musée national de la marine
''Source : Un voyage de découverte au siècle des Lumières  - Musée national de la marine''