« Ile de Pâques » : différence entre les versions

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Au {{XXIe siècle}} la société pascuane moderne, qui s’auto-identifie comme [[Rapanui (peuple)|Rapanui]], reconstruit aujourd’hui sa culture, ses traditions et sa dignité dans le cadre politique [[chili]]en, tandis que les [[Archéologie|archéologues]] exhument son patrimoine artistique et monumental, et que les [[Anthropologie|anthropologues]] l’interprètent à la lumière de leur compétence, plutôt génétique, linguistique ou paléo-[[environnement]]ale pour les uns, plutôt [[culture]]lle, [[Mythologie|mythologique]], [[Littérature|littéraire]] ou [[fantastique]] pour d’autres<ref name="Cauwe">[[Nicolas Cauwe]] (dir.), ''Île de Pâques, faux mystères et vraies énigmes'', éd. du Cedarc 2008 et ''Le grand tabou de l'île de Pâques : dix années de fouilles reconstruisent son histoire'', éd. Versant Sud, Louvain-la-Neuve 2011.</ref>.
Au {{XXIe siècle}} la société pascuane moderne, qui s’auto-identifie comme [[Rapanui (peuple)|Rapanui]], reconstruit aujourd’hui sa culture, ses traditions et sa dignité dans le cadre politique [[chili]]en, tandis que les [[Archéologie|archéologues]] exhument son patrimoine artistique et monumental, et que les [[Anthropologie|anthropologues]] l’interprètent à la lumière de leur compétence, plutôt génétique, linguistique ou paléo-[[environnement]]ale pour les uns, plutôt [[culture]]lle, [[Mythologie|mythologique]], [[Littérature|littéraire]] ou [[fantastique]] pour d’autres<ref name="Cauwe">[[Nicolas Cauwe]] (dir.), ''Île de Pâques, faux mystères et vraies énigmes'', éd. du Cedarc 2008 et ''Le grand tabou de l'île de Pâques : dix années de fouilles reconstruisent son histoire'', éd. Versant Sud, Louvain-la-Neuve 2011.</ref>.
[[Fichier:Île de Pâques 1872 by Pierre Loti.jpg|300px|thumb|Dessin de [[Pierre Loti]] ''L'Ile de Pâques, le 7 janvier 1872 vers  17 heures''.]]
[[Fichier:Île de Pâques 1872 by Pierre Loti.jpg|300px|thumb|Dessin de [[Pierre Loti]] ''L'Ile de Pâques, le 7 janvier 1872 vers  17 heures''.]]
== Premiers peuplements ==
{{Article détaillé|Peuplement de l'Océanie}}
[[Fichier:Taka'i'i.jpg|vignette|gauche|upright|alt=Photo d'une statue de tiki en pierre de deux mètres cinquante de haut. Le bras gauche est manquant.|[[Tiki]] du chef Taka'i'i à ''Mea'e Te l'Ipona'', près de Puamau, dans [[Hiva Oa|Hiva]] ([[Îles Marquises]]).]]
[[Fichier:Hoa hakananai.jpg|vignette|gauche|upright|[[Moaï]] dit [[Hoa Hakananai'a]], d'[[Orongo]], sur l'[[île de Pâques]], actuellement au [[British Museum]].]]
Bien que les analyses [[génétique]]s révèlent une origine clairement [[Austronésiens|austronésienne]] comme dans toute la [[Polynésie]]<ref>{{Lien|fr= Erika Hagelberg|lang=en|trad = Erika Hagelberg}}, ''Genetic affinities of the Rapanui : skeletal Biology of the Ancient Rapa Nui'', edited by G.W. Gill and V. Stefan, Cambridge University Press 2016, pp. 182–201, and {{en}} « A Genetic Perspective on the Origins and Dispersal of the Austronesians: Mitochondrial DNA Variation from Madagascar to Easter Island » in : ''Past Human Migrations in East Asia: Matching Archaeology, Linguistics and Genetics'', edited by Alicia Sanchez-Mazas et al., Routledge, Londres 2008.</ref> et que la [[Rapanui (langue)|langue māori de l’île]] soit elle aussi [[Austronésiens|austronésienne]], l’origine des insulaires mais surtout de leur civilisation reste controversée, en raison de similitudes entre les formes du [[mégalithisme]] circum-[[Océan Pacifique|pacifique]] et de l’existence de mots communs aux langues austronésiennes et à celles d’Amérique du Sud (par exemple ''kumara'', la [[patate douce]]). Ces traits communs démontrent des contacts, mais ne prouvent pas qu’il y a eu peuplement sud-américain en Polynésie ou peuplement polynésien en Amérique du Sud, de sorte que toutes les hypothèses sont envisageables<ref>Helene Martinsson-Wallin et Susan Crockford, « Early settlement on Rapa-Nui (Easter Island) » in : ''Asian Perspective'' n° 40, année 2002, {{p.}}244-278.</ref>.
Quoi qu’il en soit, les [[Peuplement de l'Océanie|polynésiens]] ont pu, grâce à leurs ''[[Vaka purua|vakas]]'' (vaisseaux de haute mer, pouvant transporter plusieurs familles, du [[Taro (plante)|taro]], des noix de coco, des poulets…) naviguer des [[îles Marquises]] (à {{unité|3200|km}}) ou bien des îles [[Îles Tuamotu|Tuamotu]] ([[Mangareva]], à {{unité|2600|km}}) en passant par [[Île Pitcairn|Pitcairn]] (située à {{unité|2000|km}}) jusqu’à l’île de Pâques où ils ont pu reconstituer leurs paysages, leurs cultures et leur civilisation<ref>Annette Kühlem, Burkhard Vogt & Christian Hartl-Reiter, {{de}} « Landschaftsüberformung und Wasserkult auf der Osterinsel », in : ''Dokumentation in Archäologie & Denkmalpflege'' du 16.-18. Octobre 2013, ed. de la Kommission für Archäologie Außereuropäischer Kulturen des Deutschen Archäologischen Instituts, [https://www.academia.edu/44348268/LANDSCHAFTS%C3%9CBERFORMUNG_UND_WASSERKULT_AUF_DER_OSTERINSEL]</ref>. Une reconstitution de ce périple, effectuée en 1999, à partir de [[Mangareva]] sur des embarcations polynésiennes, a demandé 17 jours de navigation.
La date du peuplement humain de l’île par n’est pas déterminée avec précision mais se situe dans une fourchette allant du {{Ve siècle}} au plus tôt<ref>C. Smith (1961) in ''The Archaeology of Easter Island, Vol. 1.'' [[Thor Heyerdahl]], Edwin Ferdon eds. Allen & Unwin, London, 393-396.</ref> au {{XIIIe siècle}} au plus tard<ref>{{en}} Terry L. Hunt et Carl P. Lipo, « Late Colonization of Easter Island », ''Science'', {{n°|311}}, 2006, {{p.|1603—1606}}.</ref>.
=== Noms de l’île au cours de l’histoire ===
Les habitants d’origine [[Polynésiens|polynésienne]] ont plusieurs dénominations de l’île, que les Européens ont ultérieurement réinterprétées :
* avant les changements de population postérieurs à 1861, la tradition orale ''matamua'' rapporte que le nom de l’île était ''Haumaka'' ou plus exactement ''Te kainga a [[Hotu Matu'a|Hau Maka]]'' (''le bout de terre de [[Hotu Matu'a|Hau Maka]]'', également connu comme ''Hau Mata'', ''Hao Matuha'' ou ''Hotu Matu’a'')<ref>Thomas S. Barthel, ''The Eighth Land : The Polynesian Settlement of Easter Island'', Honolulu University of Hawaii, 1978.</ref> ; [[Alfred Métraux]] donne aussi ''Hiti-ai-Rangi'', ''Hanga-Oaro'' et ''Hanga-Roa'', nom conservé jusqu’à nos jours par la capitale de l’île<ref name="Métraux">[[Alfred Métraux]] : ''Introduction à la connaissance de l'Île de Pâques : résultats de l'expédition franco-belge de [[Louis-Charles Watelin]] en [[1934]]'', Éd. du [[Muséum national d'histoire naturelle|MNHN]], Paris 1935.</ref> ;
* ''{{Langue|rap|Te pito o te henua}}'' en [[rapanui (langue)|rapanui]] désignait, selon la tradition orale, un lieu-dit à l’intérieur de l’île où se tenaient les palabres entre ''[[iwi]]'' (clans), mais [[Alphonse Pinart]] dans son ''Voyage à l’île de Pâques'' (1877), a interprété ce toponyme comme étant le nom de l’île et comme signifiant le « nombril du monde » ; d’autres interprétations sont {{citation|le nombril de la terre}}, {{citation|le centre de la terre}} ou {{citation|la fin des terres}} ;
* ''Rapa Nui'' (la ''grande Rapa'') a été popularisée tardivement ({{s2-|XIX|e|XX|e}}), entre autres par l’explorateur [[Thor Heyerdahl]], après la décimation de 1861, mais ce sont les matelots de [[Rapa (île)|Rapa]], la ''petite'', en [[Polynésie française]], qui ont donné ce nom<ref>Steven Roger Fischer, ''Island at the end of the World : the turbulent history of Easter Island'', Reaktion Books 2005</ref>, généralement adopté par la population actuelle<ref>Pour le nom Rapa Nui : [http://www.rongorongo.org/thomson/453.html/ « Invention of the name “Rapa Nui” »].</ref> ;
* enfin ''Matakiterani'' est une déformation de ''Mat’aki te rangi'' ou ''Mat’aki te u’rani'' (les « yeux qui regardent le ciel » ou « du ciel »), du nom d’îles connues des [[Mangareva|Mangareviens]] dans l'est des [[îles Gambier]] et citées par Honoré Laval<ref>J. Van Auken, ''Easter Island’s mysteries'' in :  « Ancient Mysteries », pp. 1 à 4, août 2005.</ref> : des auteurs européens et notamment [[Thor Heyerdahl]] ont employé ce nom pour désigner l’île de Pâques dans leurs ouvrages, en partant de la supposition que les « yeux qui regardent le ciel » seraient ceux des moaï.
== Les polynésiens et l’île de Pâques ==
[[Fichier:AhuTongariki.jpg|thumb|[[Moaï]]s sur leur ''[[Ahu (Île de Pâques)|ahu]]'']]
[[Fichier:Moai Rano raraku.jpg|thumb|Moaïs inachevés dans la carrière du [[Rano Raraku]]]]
[[Fichier:AhuAkivi.jpg|thumb|Moaïs de l’''ahu'' d’Aka’hivi]]
Les premiers humains [[Peuplement de l'Océanie|arrivés sur l’île]], conduits selon la [[Littérature orale polynésienne|tradition orale]] par un chef appelé [[Hotu Matu'a|Haumaka ou Hotu-Matu'a]], ont formé une société bien adaptée à son environnement, appelée ''matamua'' (« ceux d'autrefois » en [[Rapanui (langue)|maori rapanui]]). En une première période, le [[culte des ancêtres]] s’est traduit par l’érection de centaines de statues ''[[moaï]]'' puis, dans les années 1500 à 1600, l’assise religieuse de la société ''matamua'' changea. La construction des statues et des plateformes cérémonielles cessa, le culte de [[Make-make]] et de l’homme oiseau ''[[Tangata manu]]'' prit de l’importance. Les ''matamua'' en étaient là lorsque les maladies apportées par les Européens et les déportations (l’[[esclavage]] pratiqué par les [[Pérou|Péruviens]]) réduisirent à cent onze personnes leur population<ref name="Métraux" />.
=== Gestion de l’environnement ===
Sur le plan environnemental, flore et de la faune de l’île sont très semblables à celles des autres îles polynésiennes (par exemple la fougère ''Microlepia strigosa'', le ''[[Sophora toromiro]]'', le Hauhau ''Triumfetta semitrebula'', le Mahute ''Broussonetia papyrifera'' ou le Ti ''Cordyline terminalis'', les poulets, les [[Rat polynésien|rats]]<ref name="Métraux" />. On discute de la réalité d’une [[Collapsologie|catastrophe écologique]] due à l’inconséquence des ''matamua'', qui auraient pu provoquer une [[Syndrome de l'île de Pâques|crise environnementale]] en abattant tous les arbres de l’île pour transporter leurs idoles. Une telle crise a pu provoquer les conflits tribaux évoqués par la tradition orale<ref>{{article|auteur=Terry Hunt|titre=L'île de Pâques détruite par les rats ?|revue=[[Pour la science]]|date=janvier 2007|no=351|pages=28-35|résumé=http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/article-l-ile-de-paques-detruite-par-les-rats-19241.php}}.</ref>.
Mais la [[pédologie (géoscience)|pédologie]], la [[palynologie]] et les témoignages antérieurs au {{s-|XIX|e}} ne prouvent pas l’existence d’une crise ancienne, tandis qu’il est certain et documenté que l’installation des planteurs européens et de leurs élevages [[ovins]] a profondément modifié la végétation de l’île : les forêts de [[Sophora toromiro|toromiro]] disparurent, entraînant l’érosion des sols<ref>{{article|id=Dortier|périodique=Sciences Humaines|titre=Île de Pâques : la catastrophe a-t-elle vraiment eu lieu ?|auteur=Jean-François Dortier|lire en ligne=http://www.scienceshumaines.com/le-de-paques-la-catastrophe-a-t-elle-vraiment-eu-lieu_fr_14450.html|date=août 2006|numéro=174}}.</ref>.
Sur le plan culturel, l’action des [[missionnaire chrétien|missionnaires]] européens (initialement français comme [[Eugène Eyraud]], et plus tard allemands comme Sebastian Englert) et l’arrivée des marins et des ouvriers agricoles [[Rapa (île)|Rapanais]] qui se mêlèrent aux autochtones ''matamua'', contourèrent l’identité de l’actuel [[Rapa Nui (peuple)|peuple Rapa Nui]], désormais [[Église catholique|catholique]]<ref name="Métraux" />.
=== Société de clans ===
À l’époque de la découverte par [[Jakob Roggeveen]], une dizaine d’''[[iwi]]'' (clans familiaux) se partageaient l’île à partir des hameaux d’Aka'hanga, Anakena, Heiki'i, Mahetua, Taha'i, Tepe'u, Terevaka, Tongariki, Va'i Mata et Vinapu ; leurs terroirs (''vai'hu'' ) se rencontraient au centre de l’île, en un lieu (sacré, et réservé aux palabres) appelé ''Te pito o te fenua'' (« le nombril de la terre » souvent traduit à tort comme « le nombril du monde ») ; leurs ''[[Ahu (Île de Pâques)|ahu]]'' (plates-formes à moaï, le plus souvent dressées au bord de l’océan) étaient aussi appelés ''Mat’a kite u’rani'' (''les yeux qui regardent le ciel'' ou ''du ciel'', ce qui est logique pour des représentations d’ancêtres divinisés, mais a été interprété par les Européens de manière parfois très fantaisiste)<ref name="Cauwe" />.
=== Moaïs ===
{{Article détaillé|Moaï}}
Ces grandes statues représentant des [[Culte des ancêtres|ancêtres divinisés]] proviennent d’une carrière située sur les flancs et dans le cratère du [[volcan]] nommé [[Rano Raraku]]. Environ 360 sont terminées et dressées au pied de la pente, et un nombre approximativement égal sont inachevées (à divers stades entre l’ébauche à la finition). Le plus grand qui ait été érigé mesure {{unité|10|m}} de hauteur et pèse {{unité|75|t}}. L’un des inachevés fait {{unité|21|m}} de hauteur pour une masse estimée à {{unité|270|t}}. Les plus anciens ''[[moaï]]'' ressemblent beaucoup aux ''[[tiki]]s'' que l’on peut voir dans les îles de Polynésie ([[Hiva Oa]] des Marquises, [[Tahiti]]…)<ref>{{ouvrage| auteur1=Hélène Guiot|nom1=Guiot| auteur2=Marie-Noëlle Ottino-Garanger|nom2=Ottino-Garanger| titre=Que sont les Tiki et les Ti’i ? In : Tiki, Ti’i, Ki’i…|sous-titre=Aux origines des Polynésiens| titre chapitre=Le mouvement Tiki Pop| lieu=Paris| éditeur=Société des Océanistes| année=2016| collection=Petits dossiers de la SdO| numéro dans la collection=4| pages=27-32| lire en ligne=http://books.openedition.org/sdo/1597| isbn=9782854301328| doi=10.4000/books.sdo.1597}}</ref>. L’abandon des ''moaï'' et de leur production a suscité de nombreuses théories, allant de la disparition des arbres nécessaires au transport de ces colosses (parfois sur près de {{unité|15|km}}) jusqu’à l’[[Théorie des anciens astronautes|intervention d’extraterrestres]], en passant par un [[séisme]] suivi d’un [[tsunami]] et, dans tous les cas, d’une [[guerre civile]].
[[Fichier:Tablette de bois rapa-nui.svg|thumb|Tablette rongo rongo, illustration du Voyage de Pierre Loti à l'Île de Pâques édité dans la Revue de Paris en 1905.]]
Avant le {{s-|XIX|e}}, [[Jakob Roggeveen|Roggeveen]], [[Felipe González de Ahedo|González]], [[James Cook|Cook]] et [[Jean-François de La Pérouse|La Pérouse]] trouvent et représentent l’île relativement boisée et les [[Marae|plateformes]] ''[[Ahu (Île de Pâques)|ahu]]'' portant des ''[[moaï]]'' debout. En revanche, au {{s-|XIX|e}} et au {{s-|XX|e}} l’[[Kaiserliche Marine|équipage allemand]] de la canonnière ''[[SMS Hyäne (1878)|S.M.S. ''Hyäne'']]'', Catherine Routledge, [[Alfred Métraux]] et [[Thor Heyerdahl]] trouvent l’île dépourvue d’arbres et les moaï renversés de leurs ''ahu''. Que s’est-il passé entre-temps ? La tradition orale parle de guerres entre clans, les [[paléoenvironnement]]alistes évoquent des [[sécheresse]]s, des [[séisme]]s et des [[tsunami]]s (l’île est un édifice [[volcan]]ique ), les historiens et les économistes décrivent l’appropriation de l’île par les éleveurs de moutons et l’action des missionnaires. Ces causes, bien sûr, ne sont pas exclusives les unes des autres<ref name="Cauwe" />. Quoi qu’il en soit, en 1916 les équipes de Catherine Routledge<ref>Van Tilburg, Jo Anne : Among Stone Giants: The Life of Catherine Routledge and Her Remarkable Expedition to Easter Island, {{ISBN|0-7432-4480-X}}</ref> ont exhumé des moaï enfouis dans le sol et souvent gravés de [[pétroglyphe]]s ; en 2010 et 2011, une expédition codirigée par Jo Anne Van Tilburg et Cristián Arévalo Pakarati a multiplié et approfondi ces fouilles<ref>EISP - [http://www.eisp.org/]</ref>.
Selon les archéologues Terry Hunt de l’[[Université d'Hawaï]] et Carl Lipo de l’[[Université d'État de Californie]], les statues, après avoir été taillées en position horizontale dans la roche volcanique du [[Rano Raraku]], ont pu être déplacées debout depuis le site jusqu’à leur destination finale, par un mouvement de balancier régulier initié par des tireurs de cordes et [[Archéologie expérimentale|surnommé « méthode du réfrigérateur »]]<ref>Démonstration de cette hypothèse : [https://www.youtube.com/watch?v=yvvES47OdmY]</ref>.
=== Pétroglyphes et tablettes rongorongo ===
{{Article détaillé|Pétroglyphe|Rongorongo}}
Les ''matamua'' ont laissé des statuettes en bois ''moko'' et des [[pétroglyphe]]s dont les symboles se réfèrent souvent au culte de [[Make-make]]<ref name="Cauwe" />. Très semblables à l’[[Art d'Océanie|art polynésien]], leur interprétation n’a pas suscité de polémiques, contrairement aux tablettes ''[[rongorongo]]'', ainsi nommées d’après le lieu de culte [[Orongo]]<ref>{{Ouvrage|langue = français|auteur1 = Christine Laurière|titre = L’Odyssée pascuane : mission Métraux-Lavachery, Île de Pâques, 1934-1935|lieu = Paris|éditeur = Lahic / DPRPS-Direction des patrimoines|année = 2014|pages totales = 198|isbn = |lire en ligne = http://www.berose.fr/spip.php?article594}}</ref>. Durant plus d’un siècle, ces tablettes couvertes de signes [[Énigme|énigmatiques]] en « [[boustrophédon]] inversé » restèrent incomprises, enchantant les amateurs de mystères et suscitant une multitude de théories et de spéculations en lien avec l’histoire de l’[[écriture]] et divers [[mythe]]s comme celui du [[Mu (continent)|continent disparu Mu]]<ref>[[Serge Hutin]], ''Hommes et civilisations fantastiques'', Paris, aux éditions J'ai Lu coll. l'aventure mystérieuse, 1970.</ref>{{,}}<ref>[[Robert Charroux]], ''Le livre des mondes oubliés'', éd. J'ai Lu, coll. l'aventure mystérieuse, 1971.</ref>.
Si la signification précise de chaque [[symbole]] ''rongorongo'' est perdue, les séries répétées comme « oiseau-pénis-poisson-vulve-humain » ont été, dès 1899<ref>« Voyage de [[Pierre Loti]] à l'île de Pâques » in : ''Revue de Paris'', 1905, {{pp.|256}}.</ref> rapprochées des refrains traditionnels des hymnes [[Généalogie|généalogiques]] polynésiens (« les oiseaux ont copulé avec les poissons et ainsi ont engendré les premiers hommes »)<ref>Sophie Chave-Dartoen et Bruno Saura, « Les généalogies polynésiennes, une mise en récit du monde socio-cosmique, de son origine et de son ordre » in : ''Cahiers de littérature orale de l'[[Institut national des langues et civilisations orientales|INALCO]]'' {{n°|84}} : ''Le récit généalogique'', 2018, {{ISBN|978-2-85831-338-9}}, {{pp.|89-123}}, [https://doi.org/10.4000/clo.5383]</ref>. Sur cette base, elles ont fait l’objet d’un décodage par l’[[ethnographie|ethnographe]] [[Russie|russe]] [[Irina Fedorova]]<ref>Irina Fedorova, {{ru}} Таблички „ронгоронго” в художественном кабинете Музея антропологии и этнографии „Петра Великого” Российской академии наук в Санкт-Петербу́рге (Les tablettes rongorongo du cabinet d'art du [[Musée d'Ethnographie et d'Anthropologie de l'Académie des sciences de Russie|Musée d'anthropologie et d'ethnographie de l'Académie des sciences de Russie « Pierre-le-Grand »]], Saint-Pétersbourg 1995.</ref>, mais ce décodage, évidemment en partie [[conjecture]]l, « mettait fin au mystère » et renforçait l’hypothèse de l’origine polynésienne de la civilisation ''matamua'' : il a donc été [[Méthode hypercritique|sévèrement critiqué]]<ref>Konstantin Pozdniakov, « L'écriture Rongorongo toujours indéchiffrée », in : ''[[Dossiers d'archéologie]]'', {{n°|402}}, novembre-{{date-|décembre 2020}}, {{pp.|58-61}}.</ref>.
== Les Incas et l’île de Pâques ==
Selon une thèse jadis défendue par [[Thor Heyerdahl]] puis plus récemment par Jean-Hervé Daude, Denise Wenger et Charles-Edouard Duflon, il y aurait eu une colonisation de l’île de Pâques par l’[[empire inca]] qui y aurait introduit les connaissances concernant le travail de la pierre<ref>Denise Wenger, Charles-Édouard Duflon, ''L'île de Pâques est ailleurs'', Éd. Frédéric Dawance, 2011, {{p.|24}}.</ref>. Cette hypothèse s’appuie sur la tradition orale qui mentionne la présence de deux populations distinctes sur l’île : les « hommes minces » et les « hommes trapus », ces derniers arborant des oreilles aux lobes distendus par de lourds pendentifs sont appelés communément « longues-oreilles ». Selon cette thèse, le premier groupe serait d’origine polynésienne et le second d’origine sud-américaine. Ce second peuple serait arrivé lors de l'expédition de l'[[Inca]] [[Tupac Yupanqui]] vers 1465.
Les « longues-oreilles » ayant importé dans l’île la compétence inca pour le travail de la pierre, selon cette thèse les ''[[moaï]]'' et les ''[[Ahu (Île de Pâques)|ahu]]'' seraient donc postérieurs à 1465 ; celui de Vinapu aurait le même mode de construction qu’une [[chullpa]] du plateau andin<sup>11</sup>. Certaines statuettes ''moko'' représenteraient le ''[[Cuy (cobaye)|cuy]]'', un rongeur typiquement andin<sup>12</sup>. Des études génétiques ont aussi tenté de démontrer les liens entre les ''matamua'' et l'Amérique du Sud<sup>13</sup>. Cette théorie est inverse de celle communément admise au sujet du [[peuplement de l'Océanie]] selon laquelle ce sont les [[polynésiens]] qui ont probablement abordé l'Amérique du Sud et s'y sont fondus. Jean-Hervé Daude pense que les Incas se seraient intégrés au groupe polynésien, abandonnant (à peu de mots près) leur langue, et si leurs caractéristiques génétiques ont en grande partie disparu, ce serait parce que les « longues-oreilles » auraient été exterminés par les « courtes-oreilles », comme le rapporte la tradition orale<sup>14</sup>.
== Les Européens et l’île de Pâques ==
[[Fichier:Plan de l'Isle de Paque (1797).jpg|thumb|Plan de l’île levé par l'expédition de [[Jean-François de La Pérouse|La Pérouse]] en 1797]]
Le premier Européen qui ait aperçu l’île fut peut-être, en 1687 le [[Piraterie|pirate]] [[Edward Davis]] sur le ''Bachelor’s Delight'', alors qu’il venait des [[îles Galápagos]] et naviguait en direction du [[cap Horn]]. Son coéquipier [[Lionel Wafer]] décrit une île aperçue par hasard, sous la même latitude que l'île de Pâques, sur laquelle ils n'effectuèrent pas de débarquement, et qu'on pensa par la suite pouvoir être un promontoire du légendaire « [[Terra Australis|continent du Sud]] ».
Le nom de l'île est dû au Hollandais [[Jakob Roggeveen]] qui y accosta avec trois navires au cours d'une expédition pour le compte de la Société commerciale des Indes occidentales. Il la découvrit en effet le dimanche de [[Pâques]] [[1722]] et l’appela ''Paasch-Eyland'' (île de Pâques). Un des participants à l'expédition était le [[Mecklembourg]]eois [[Carl Friedrich Behrens]] dont le rapport publié à [[Leipzig]] orienta l’attention de l’Europe vers cette région à peine connue du Pacifique.
L’explorateur suivant fut l’Espagnol [[Felipe González de Ahedo]] qui avait reçu du vice-roi du [[Pérou]] l’ordre d’annexer l’[[île]] pour le compte de la Couronne [[Espagne|espagnole]]. L’expédition de González de Haedo débarqua le {{Date|15|novembre|1770}}. Après une visite rapide et très partielle de l’île, exploration d'une demi-journée dans un seul secteur, et après un contact amical avec une population à structure sociale hiérarchisée, Felipe González de Haedo qui ne pensait pas qu’il s’agisse de l’île de Roggeveen décida d’annexer cette terre à la Couronne d’Espagne et la nomma ''Île de San Carlos''. Il fit planter plusieurs croix sur la pointe du volcan [[Poike]]. Durant les années qui suivirent, l’Espagne ne se soucia guère de sa nouvelle possession et au cours de sa deuxième expédition du Pacifique Sud, [[James Cook]] visita l’île du {{Date|13|mars|1774}} au {{date|17 mars 1774}} mais lui non plus ne fut pas enthousiasmé par l’île et écrivit dans son livre de bord : {{citation|Aucune nation ne combattra jamais pour l’honneur d’avoir exploré l’Île de Pâques, […] il n'y a pas d'autre île dans la mer qui offre moins de rafraîchissements et de commodités pour la navigation que celle-ci<ref>Citation de [[James Cook]], livre de bord des voyages 1768-1779, édition Erdmann, Tübingen</ref>}}.
Cependant, son séjour fournit des informations essentielles sur la constitution géologique, la végétation, la population et les moaï. Les naturalistes du bord, les allemands [[Johann Reinhold Forster|Reinhold Forster]] et son fils [[Georg Forster|Georg Adam Forster]], ont dessiné les premiers croquis de l’île qui, gravés et publiés dans un style alors typiquement romantique, firent sensation en Europe. Ces croquis montrent qu’en 1774, donc neuf décennies avant le raid des esclavagistes péruviens contre les ''matamua'' qui étaient alors adeptes du culte de [[Make-make]], certains ''moaï'' était encore debout sur leurs ''ahu'' alors que d’autres étaient inachevés, couchés et apparemment abandonnés.
En [[1786]], le navigateur français [[Jean-François de La Pérouse|La Pérouse]] débarqua sur l’île de Pâques au cours de sa [[circumnavigation]] terrestre, effectuée sur l’ordre du roi [[Louis XVI|Louis {{XVI}}]]. La Pérouse avait l’ordre de dessiner des cartes précises afin de contribuer, avec l’étude des peuples du Pacifique, à la formation du [[Dauphin (titre)|dauphin]].
== Le {{s-|XIX|e}} ==
Avant le {{s-|XIX|e}}, [[Jakob Roggeveen|Roggeveen]], [[Felipe González de Ahedo|González]], [[James Cook|Cook]] et [[Jean-François de La Pérouse|La Pérouse]] trouvent et représentent l’île relativement boisée et des ''ahu'' portant des ''moaï'' encore debout. En revanche, au {{s-|XIX|e}} et au {{s-|XX|e}} l’équipage allemand de la canonnière ''[[SMS Hyäne (1878)|S.M.S. ''Hyäne'']]'', Catherine Routledge, [[Alfred Métraux]]<ref name="Métraux" /> et [[Thor Heyerdahl]] trouvent l’île dépourvue d’arbres et les ''moaïs'' tous renversés de leurs ''ahu''. Que s’est-il passé entre-temps ? La tradition orale parle de guerres internes, les [[paléoenvironnement]]alistes évoquent des [[séisme]]s et des [[tsunami]]s (l’île est [[volcan]]ique, même si ses volcans ne sont plus actifs à part des fumerolles<ref>{{Lien web|lang=en|url=http://libweb.hawaii.edu/digicoll/rapanui/Box13E01.html|titre=Steam crack in wall of Rano Kao|série= Photograhs of scenery : lakes and landscapes|éditeur=[[Université d'Hawaï]]|consulté le=10 août 2009}}.</ref>), les historiens et les économistes décrivent l’appropriation de l’île par les éleveurs de moutons et l’action des missionnaires. Ces causes, bien sûr, ne sont pas exclusives les unes des autres<ref name="Cauwe" />.
=== L'évolution démographique ===
{{Article détaillé|Blackbirding}}
Selon [[Alfred Métraux]], la population ''matamua'' d’origine est passée d’environ {{nombre|2500|personnes}} au début du {{XIXe siècle}} à seulement 111 en [[1877]]<ref name="Métraux" /> : cette diminution est due d’une part aux maladies introduites par les explorateurs européens, comme la [[tuberculose]] et la [[syphilis]], et d’autre part aux raids des [[Blackbirding|marchands d’esclaves]] armés opérant à partir de [[Callao]] au [[Pérou]], qui, de [[1859]] à [[1863]], capturent les ''matamua'' après les avoir attirés par la musique et des présentations de tissus, et [[Déportation|déportent]] environ 1500 d’entre eux pour les vendre aux sociétés péruviennes exploitant le [[guano]] des [[îles Chincha]]<ref>{{es}} ''Islas Chincha, ínsulas guaneras peruanas por excelencia'' - [http://www.navegar-es-preciso.com/news/islas-chincha-insulas-guaneras-peruanas-por-excelencia/] consulté le 16.10.2013.</ref>. Toujours selon Métraux, la société ''matamua'' est largement déstructurée par la capture et le massacre en [[1861]] des ''ariki'' (guerriers), des prêtres et du clan Miru (revendiquant descendre de [[Hotu Matu'a]]) dont faisaient partie l’''ariki-nui'' (roi) Kaimakoi et son héritier Maurata, de sorte que la mémoire identitaire des autochtones est en grande partie perdue<ref name="Métraux" />.
En raison des épidémies, la population restante diminue encore fortement durant les années 1860 et 1870, avec pour résultat qu’après les immigrations ultérieures, en provenance entre autres des [[Îles Gambier|Gambier]] (Rapa), de [[Tahiti]] et des [[Îles Tuamotu|Tuamotu]], les ''matamua'' d’origine ne représentaient plus que 6 % environ de la population [[Rapa Nui (peuple)|Rapa Nui]] qui formait la moitié des habitants, les Européens et Sud-Américains d’origine étant 45 % et les Asiatiques 5 %. Les Polynésiens venus dans l’île après 1861, déjà pourvus d’[[anticorps]] contre les maladies des Européens et déjà christianisés, ont été amenés par les planteurs [[Jean-Baptiste Dutrou-Bornier|Dutrou-Bornier]], Mau et Brander comme ouvriers agricoles, entre 1864 et 1888<ref name="Métraux" />. Au {{s-|XXI|e}} la population [[Rapa Nui (peuple)|Rapa Nui]] est en grande partie [[métis|métissée]] et totalement christianisée, culture polynésienne et culture chilienne se mélangeant<ref>[http://www.critique-sociale.info/136/les-luttes-sociales-sur-lile-de-paques/ Les luttes sociales sur l’Île de Pâques] consulté en juin 2010.</ref>.
=== La Mission catholique (1864) ===
C’est en 1864 que le premier Européen sédentaire s’installe sur l’île<ref>Article de Corinne Raybaud dans la ''Revue juridique polynésienne'' - [http://www.upf.pf/IMG/doc/raybaud.doc] pour ce paragraphes et les suivants</ref>: c’est [[Eugène Eyraud]], un [[Français]] ouvrier mécanicien à [[Copiapó]] ([[Chili]]), qui a décidé de se consacrer à l’[[évangélisation]]. Après un séjour d’observation (dont il a laissé un compte-rendu), Eyraud retourne au Chili se faire soigner et revient en mars [[1866]] avec un prêtre, [[Hippolyte Roussel]], qui se trouvait auparavant en fonction aux [[îles Marquises]]. Tous deux créent la Mission catholique. Deux autres missionnaires arrivent en {{date-|novembre 1866}} avec des animaux et du matériel. Cependant, Eugène Eyraud meurt en {{date-|août 1868}} de maladie.
=== Les planteurs-éleveurs ===
Les nouveaux missionnaires ont été convoyés par le capitaine français [[Jean-Baptiste Dutrou-Bornier]], qui, trouvant l’île de Pâques très intéressante, revient quelques mois plus tard avec son propre matériel et sa famille afin d’y créer une plantation agricole. Un autre colon français s’installe en même temps : le charpentier de marine Pierre Mau. En septembre [[1868]] est établi un « Conseil de gouvernement », présidé par Dutrou-Bornier avec le missionnaire Gaspar Zumbohm pour secrétaire, et quatre membres polynésiens amenés de Polynésie française. Ce « Conseil de gouvernement » se dote d’institutions : un tribunal présidé par Hyppolite Roussel et une police, les ''mutoi'', tandis que la mission est rattachée au [[Archidiocèse de Papeete|vicariat apostolique français de Tahiti]]<ref>[http://www.cathedraledepapeete.com/pages/histoire-de-la-paroisse/histoire-generale/vicaires-apostoliques-et-archeveques/vicariat-et-archeveche-de-tahiti/] consulté le 2.12.2020.</ref> (elle en dépendra jusqu'en 1911<ref>[http://www.upf.pf/IMG/doc/raybaud.doc Article de Corinne Raybaud dans la ''Revue juridique polynésienne''.]</ref>) : en fait la mission, les colons européens et leurs ''mutoi'' procèdent surtout à d’importants achats de terre à très bas prix auprès des rares survivants de la catastrophe de 1862<ref>James Minahan, {{en}} ''Encyclopedia of the Stateless Nations : L-R'', Greenwood Publishing Group, 2002.</ref>.
==== L'association Dutrou-Bornier/Brander (1871-1876) ====
En [[1869]], Pierre Mau quitte l’île, revendant ses propriétés à la Mission catholique. Des dissensions liées aux mœurs brutales de Dutrou-Bornier entraînent le départ des missionnaires en [[1871]] ; l’ancien capitaine devenu planteur et maître absolu de l’île, reste le seul Européen. Le {{date|30 octobre 1871}}, il conclut un ''contrat d’association pour l’exploitation de l’île de Pâques'' avec l’entrepreneur écossais installé à [[Tahiti]] (où il a épousé [[Personnalités de Polynésie française|Titaua Salmon]] en 1856), [[John Brander]]. Concrètement, il s’agira essentiellement d’un élevage de moutons de plusieurs milliers de têtes. La mort de Dutrou-Bornier en 1876, suivie de celle de John Brander en 1877 crée des problèmes juridiques, les héritiers respectifs s’engageant dans une procédure qui ne prendra fin qu’en 1893. Alors que le [[surpâturage]] rase la végétation de l’île et que les îliens sont consignés dans le sud-ouest de l’île, à [[Hanga Roa]], la responsabilité de l’exploitation revient au beau-frère de John Brander, [[Alexander Salmon]], seul maître du territoire (très théoriquement toujours espagnol, mais dont Dutrou-Bornier s’était autoproclamé roi<ref>« La drôle d’histoire du Français qui fut roi de l’île de Pâques », 25 mai 2015 - [https://www.blogduvoyage.fr/dutrou-bornier-mysteres-legendes-ile-de-paques-rapa-nui-isolee/] consulté le 2 déc. 2020</ref>) jusqu’à l’annexion par le [[Chili]] en 1888.
=== Autres voyages de découverte ===
[[Fichier:Kanonenboot Hyaene.jpg|thumb|right|Photographie de la [[Kaiserliche Marine|canonnière allemande]] SMS ''Hyäne'']]
[[Fichier:Easter Is. old map.png|thumb|La carte établie par Katherine Routledge en 1916]]
En [[1882]], la [[Kaiserliche Marine|cannonière allemande]] « [[SMS Hyäne (1878)|S.M.S. ''Hyäne'']] » (« La Hyène ») visita durant cinq jours l’île de Pâques au cours d’une expédition dans le Pacifique. Le [[capitaine-lieutenant]] Geiseler avait l’ordre de l’amirauté impériale d’entreprendre des études scientifiques pour le département ethnologique des musées royaux [[Royaume de Prusse|prussiens]] à [[Histoire de Berlin|Berlin]]. L’expédition a fourni entre autres les descriptions très détaillées des us et coutumes, de la langue et de l’écriture de l’île de Pâques ainsi que des dessins exacts de différents objets culturels, des statues ([[moaï]]s), des croquis de maisons et un plan détaillé du lieu de culte [[Orongo]].
En [[1886]], alors qu’il visitait l’île à bord du navire [[États-Unis|américain]] « ''Mohi'' », le médecin de marine William Thomson a pris les premières photos de [[moaï]]s.
En [[1914]] l’[[Exploration|exploratrice]] [[Empire britannique|britannique]] Katherine Routledge, membre de la [[British Association for the Advancement of Science]], du [[British Museum]] et de la [[Royal Geographical Society]], arriva dans l’île à bord de sa goélette ''Mana'' et se livra durant deux ans à des fouilles et des essais d’[[archéologie expérimentale]] sur les sites du [[Rano Raraku]], d’[[Orongo]] et d’[[Anakena]]. Elle recueillit auprès des descendants de la catastrophe démographique de 1862 et transcrivit la [[Littérature orale polynésienne|tradition orale]] concernant [[Hotu Matu'a]], le [[Tangata manu]], les noms des clans et des territoires ''matamua'' et la manière de lire les [[rongorongo]].
En [[1934]]-[[1935]], l’[[Archéologie|archéologue]] [[Belgique|belge]] [[Henri Lavachery]], l’[[Anthropologie|anthropologue]] [[suisse]] [[Alfred Métraux]] et l’archéologue [[France|français]] [[Louis-Charles Watelin]] explorent systématiquement l’île pour le [[Muséum national d'histoire naturelle|Muséum français]] : ils en rapportent des têtes de moaï (la plus grande se trouve actuellement au [[Musée du Quai Branly - Jacques-Chirac|Musée du Quai Branly]], les autres au [[Musée du Louvre|Louvre]])<ref name="Métraux" />.
En [[1953]], c’est l’explorateur [[Norvège|norvégien]] [[Thor Heyerdahl]] qui à son tour parcourt l’île accompagné de 23 compagnons principalement norvégiens dont quatre archéologues (les américains Edwin Ferdon et Carlyle Smith, le norvégien Arne Skjølsvold et le chilien Gonzalo Figueroa), pour étayer sa théorie de l’influence de l’[[empire inca]]<ref>{{en}} Edwin Ferdon et Carlyle Smith, article dans ''The Archaeology of Easter Island, Vol. 1.'', édition Allen & Unwin, Londres, 1961.</ref>. Depuis lors, de très nombreuses expéditions, campagnes de fouilles et essais d’[[archéologie expérimentale]] ont accru les connaissances sur le passé de l’île.
== L’île de Pâques, territoire chilien ==
Le {{date-|9 septembre 1888}}, l’île est annexée au nom du Chili par le capitaine de corvette Policarpo Toro (1856-1921), qui y séjournait depuis [[1886]] et menait les négociations avec les habitants, malgré quelques tentatives de la France pour les contrecarrer. La lignée royale, descendant de [[Hotu Matu'a]] (le clan Miru) étant éteinte depuis 1861, un « traité d’annexion de l’île » est signé avec le chef coutumier Atamu Tekena, reconnu comme « roi » par le gouvernement chilien<ref>Púa Ara Hoa et S. Riroroko, {{es}} « La historia según » in : ''La Gaceta de Isla de Pascua'' {{n°|8}}, an IV, ed. Verano, Otoño 1999.</ref>.
L’île est divisée entre la « réserve » de Hanga Roa instituée par [[Alexander Salmon]], soit 6 % de la surface de l'île, où sont parqués les [[Rapa Nui (peuple)|Rapa Nui]], et la Compagnie Williamson-Balfour, qui possède le reste et y élève des moutons jusqu’en 1953<ref>Susana Rochna-Ramírez, {{es}} ''La propiedad de la tierra en isla de Pascua'', ed. Conadi, Santiago de Chile, 1996.</ref>.
De 1953 à 1966, l’île est sous le contrôle de la [[Marine chilienne]].
En 1966, les Rapanui reçoivent la nationalité chilienne, sont autorisés à quitter la réserve, et l’île devient un territoire de droit commun.
Depuis les années 1990, la renaissance culturelle [[Culture maorie|maori]]e des Rapanui se traduit par une résurgence moderne et actualisée des traditions ancestrales (sportives, musicales, artisanales, spirituelles ou culinaires) qui n'exclut ni le catholicisme ni la modernité, mais crée une nouvelle cohésion sociale et une nouvelle identité pascuane dont l'essor va de pair avec l'ouverture de l'île, soutenue par le tourisme.
D'ailleurs, le {{date-|30 juillet 2007}}, une réforme constitutionnelle dote l’île d’un statut de « territoire spécial », mais elle continue pour le moment d’être administrée comme une [[Province de l'Île de Pâques|province de la Région V]] ([[Valparaíso]]).
== Galerie ==
<center>
<gallery perrow="6">
File:Easternislands.jpg|[[Ahu Tongariki|''Ahu'' de Tongariki]] : <small>les moaïs ont été relevés, l'un d'eux a retrouvé son ''pukao''</small>.
File:Easternislands1.jpg|Le volcan-carrière [[Rano Raraku]].
File:Easternislands2.jpg|Sur les pentes du Rano Raraku…
File:Easternislands4.jpg|…des moai inachevés ou…
File:Easternislands5.jpg|…en cours de transport.
File:Easternislands7.jpg|Sur les pentes du [[Puna Pau]], des ''pukao'' (chapeaux) abandonnés.
File:Easternislands8.jpg|Les moaï renversés de l'ahu Vinapu : <small>séisme et tsunami, guerre civile, changement de culte ou tout cela</small> ?
File:On the eastern islands.jpg|Entrée d'un ''fare'' (maison familiale) en pierre.
File:Te Pito o te Henua.jpg|Le [[marae]] ''te pito o te henua'' (<small>lieu cérémoniel "le milieu de la terre" : réplique de la baie de La Pérouse - l'original se trouvait sur le flanc sud-est du mont Terevaka Rano Aroi</small>).
File:On the eastern islands1.jpg|[[Pétroglyphe]]s (<small>culte de [[Make-make]] au-dessus de la falaise d'[[Orongo]]</small>).
File:On the eastern islands2.jpg|Falaise d'Orongo.
File:On the eastern islands3.jpg|Cratère d'Orongo.
File:On the eastern islands6.jpg|''Ahu'' Naunau : <small>quatre des moaïs ont retrouvé leurs ''pukao''</small>.
</gallery>
</center>
== Bibliographie ==
* [[Hippolyte Roussel]], ''Île de Pâques ou Rapa Nui'', Annales des Sacrés-Cœurs, Paris 1869.
* [[Henri Lavachery]], ''Île de Pâques. Une expédition belge en 1934'', Grasset 1935, {{ASIN|B0000DQVUV}}.
* Edwin Ferdon et Carlyle Smith, article ''The Archaeology of Easter Island'', Vol. 1., édition Allen & Unwin, Londres 1961.
* [[Peter Bellwood]], ''The Austronesians'', 1995.
* [[Ronald Wright]], ''La fin du progrès ?'', traduction française, Éd. Naïve, 2006, (titre original : ''A Short History of Progress'', Éd. Hurtubise HMH Ltd, 2004).
* [[Jared Diamond]], ''[[Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie]]'', [[Éditions Gallimard|Gallimard]], « NRF Essais », 2006, ({{en}} ''Collapse'', 2005).
* Christine Laurière, ''L'Odyssée pascuane : mission Métraux-Lavachery, Île de Pâques, 1934-1935'' [en ligne], Paris, Lahic / DPRPS-Direction des patrimoines, 2014, 198 p. Disponible à l'adresse : http://www.berose.fr/spip.php?article594.
* Diego Muñoz. 2007. Rapanui translocales. La configuración de la etnicidad rapanui en Santiago de Chile. UAHC, Santigo du Chili
* Diego Muñoz. 2015. «The Rapanui diaspora in Tahiti and the lands of Pamatai (1871-1970) ». In ''Rapa Nui Journal'' 29(2): 5-22.
* {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=Christine Perez|titre=Esclavage polynésien|lieu=Paris|éditeur=Actes du XXVIe congrès du GIREA|date=2002-01-01|pages totales=139|lire en ligne=https://www.academia.edu/40442496/ESCLAVAGE_POLYNE_SIEN}}
== Notes et références ==
{{Références|colonnes=2}}
== Articles connexes ==
* [[Syndrome de l'île de Pâques]]
*''[[Blackbirding]]''
{{Palette|Île de Pâques}}
{{Portail|Océanie|histoire|Île de Pâques|Chili|colonisation}}
[[Catégorie:Histoire de l'île de Pâques|*]]

Version du 15 novembre 2023 à 10:37

Ile de Pâques
Identitié
Nom : Île de Pâques
Date de découverte : Entre 400 et 1200
Découvreur(s) : Jakob Roggeveen
Localisation : Chili
Informations supplémentaires
 


Modèle:Article général

L’histoire de l’île de Pâques comporte trois périodes :

  1. la période pré-anthropique : c’est l’histoire naturelle de l’île, depuis sa surrection en tant qu’ensemble volcanique il y a Modèle:Unité aux marges de la plaque de Nazca, à la croisée de la dorsale est-Pacifique et de celle du Chili[1] et jusqu’à l’arrivée des premiers humains, en passant par la mise en place progressive de la flore (graines apportées par les vents, les courants ou les oiseaux dans leur plumage et leurs déjections) et de la faune initiales ; l’éruption la plus récente date d’un peu plus de Modèle:Unité même si des fumerolles émanent encore du cratère Rano Kau[2] ;
  2. la période anthropique ancienne, dite aussi localement matamua soit « autrefois » en langue Rapanui ou encore Haumaka de l'un des noms du premier découvreur mythique Hotu Matu'a, débute avec l’arrivée des premiers polynésiens, vers l’an 400 de notre ère selon les estimations hautes, vers 1200 selon les estimations basses ; cette période a donné lieu, ici comme ailleurs en Polynésie, à de nombreuses spéculations, faute de documents écrits et de descriptions précises des pratiques, us, coutumes et croyances (les tablettes rongorongo ont été interprétées comme des supports visuels pour réciter les généalogies mythiques) ;
  3. la période anthropique moderne commence avec l’arrivée des Européens qui entrent en contact avec la société matamua au Modèle:XVIIIe siècle ; cette période connaît dans le courant des Modèle:S2- de profonds changements de population et le ratissage de sa végétation d’origine par les élevages ovins.

Au Modèle:XXIe siècle la société pascuane moderne, qui s’auto-identifie comme Rapanui, reconstruit aujourd’hui sa culture, ses traditions et sa dignité dans le cadre politique chilien, tandis que les archéologues exhument son patrimoine artistique et monumental, et que les anthropologues l’interprètent à la lumière de leur compétence, plutôt génétique, linguistique ou paléo-environnementale pour les uns, plutôt culturelle, mythologique, littéraire ou fantastique pour d’autres[3].

Dessin de Pierre Loti L'Ile de Pâques, le 7 janvier 1872 vers 17 heures.
  1. Modèle:Article.
  2. Modèle:Lien web
  3. Nicolas Cauwe (dir.), Île de Pâques, faux mystères et vraies énigmes, éd. du Cedarc 2008 et Le grand tabou de l'île de Pâques : dix années de fouilles reconstruisent son histoire, éd. Versant Sud, Louvain-la-Neuve 2011.